Lucie Pastewski
Interview réalisée par Corine Mercier

Comment êtes-vous venu à l'écriture ?

J’ai su parler assez vite, et je suis toujours quelqu’un de (très) bavard. Ça a certainement joué dans mon cheminement vers l’écriture, alors autant le mentionner. J’ai su lire vite aussi, et j’ai passé un gros morceau de mon enfance et de mon adolescence entourée d’un arsenal de livres recommandés par ma mère ou ma tante. Je pense que c’est un parti de là, même si je lis beaucoup moins aujourd’hui (à mon grand regret).
J’ai commencé à écrire pendant mes années de collège. Evidemment, c’était plutôt médiocre, mais ça jetait quelques bases, et je faisais des progrès. Ce qui est sympa en écriture, c’est qu’on progresse un peu tout le temps sans s’en rendre compte, alors j’ai fini par avoir un niveau un peu plus correct.
J’ai ensuite rejoint un forum, comportant une section dédiée aux fanfictions. Le principe de la fanfiction, c’est d’écrire dans un univers qui n’est pas le sien, que ce soit celui d’un livre, d’un film, d’une série… C’est un genre assez peu reconnu qui attire beaucoup de très jeunes auteurs et on en trouve assez facilement des mauvaises, mais tout n’est de loin pas à jeter dans le milieu. J’ai rencontré là-bas pas mal de gens meilleurs que moi, et on progressait un peu tous ensemble en échangeant des remarques sur nos textes respectifs. Untel a mis l’emphase sur l’importance du scénario, un autre était très porté sur les longues descriptions, et ça permettait d’avoir beaucoup de points de vue différents.
En parallèle de ça, je me suis également beaucoup intéressée aux analyses de texte qu’on faisait en cours de français, et je me suis prise d’affection pour le monde des figures de style. Ça a contribué à infléchir mon style vers ce qu’il est aujourd’hui, et c’est de là que m’est aussi venue la volonté de soigner le lien entre le fond et la forme, ainsi qu’un certain goût pour le symbolisme.
Une fois tout ce petit bagage en poche, je me suis attaquée à la construction de mon propre univers, point sur lequel j’avais toujours eu du mal jusque-là, et j’ai rédigé le premier tome de l’Appel de l’Outremonde.

Comment résumeriez-vous votre dernier ouvrage ?

En termes de genre, je dirais que ça va chercher vers un mélange de dark fantasy et d’anticipation. L’univers est relativement proche de ce qu’on connaît, mais les modifications paranormales apportées suffisent à en altérer l’ambiance vers quelque chose d’un peu plus sombre.
La grande visée du texte, sur le papier, c’est de briser tout manichéisme. Au départ, évidemment, on a deux camps clairement définis, et on a majoritairement le point de vue des personnages principaux alors on a tendance à classer les autres comme « les méchants ». Le but est donc que au fil de l’histoire, la définition des gentils et des méchants se brouille et qu’au final, le lecteur soit le seul juge des personnages. Pour la plupart, je pense qu’ils ont des motifs compréhensibles et que leurs actions sont justifiables. Il y a un bon exercice d’argumentation derrière pour les défendre, et c’est ce que j’essaie de faire. C’est aussi un défi de développement de personnage à mon échelle : par exemple, il faut arriver à amener les « gentils » à se salir les mains sans qu’ils rentrent en contradiction avec leurs idéaux ou leur façon de penser.

Comment naissent vos histoires ? Quelles sont vos sources d'inspiration ?

En général les idées viennent quand je ne les attends pas et que je n’ai pas de temps à leur consacrer. Ça peut être un concept d’univers, un personnage, ou même juste une scène qui me vient en tête et qui me plaît. Je note ça quelque part et j’y reviens quand je n’ai pas un autre projet en cours. Ça me permet aussi de tester la pérennité de l’idée : la très vaste majorité de ces petits concepts en vrac ne m’intéressent plus après deux semaines. Je les garde quand même au cas où, parfois j’arrive à les réimplanter ailleurs, mais souvent ça ne débouche sur rien.
Et parfois dans le tas il y a une idée qui marche, alors je la suis. A partir de là, j’essaie aussi de cerner des concepts directeurs à exploiter, des notions qui dépassent le cadre de mon récit : la foi, le compromis entre idéaux et réalité, l’enfance, le mal nécessaire… Et ensuite je creuse plus ou moins discrètement une réflexion là-dessus au travers de mes personnages, un peu comme de grandes ombres chinoises projetées derrière le récit. J’aime quand on peut trouver une seconde lecture plus poussée à un texte, et ce n’est en général pas ce qu’on va chercher à trouver dans un roman de fantasy, parce que pour moi c’est un genre qui est fréquemment perçu comme « enfantin ». Evidemment, c’est une généralisation très hâtive, mais le genre est de fait très représenté dans la littérature jeunesse, et on n’en étudie pas vraiment en cours de français par exemple. J’essaie donc d’aller à contre-courant de cette pensée. Je ne dis pas que la moindre phrase de mes textes est interprétable de dix-huit façons différentes, mais j’essaie de donner de la matière à ceux qui voudraient en chercher…idéalement sans gêner ceux qui veulent juste une belle histoire.
Au niveau des sources d’inspiration, je pioche dans tout ce que j’ai autour de moi. Concrètement, ça se résume à des jeux vidéo, à d’autres bouquins de fantasy, à des anime japonais, et certainement à énormément de choses dont je n’ai pas conscience. Ça m’est déjà arrivé de regarder un personnage et de réaliser qu’il ressemblait beaucoup à un autre que j’avais créé quelques années plus tôt, ou de saisir un peu tard le lien entre un concept et sa source d’inspiration.
S’il fallait citer des choses pour les sources d’inspiration de L’Appel de l’Outremonde, j’aurais mis Lovecraft en premier, parce que j’en lisais beaucoup au moment de conceptualiser l’univers et je pense que tous les concepts paranormaux se sont teintés de cette ambiance. La façon qu’il a de décrire des forces complètement impossibles à saisir pour l’esprit humain me paraissait bien plus impressionnante que de s’acharner à décrire dans les moindres détails la chose la plus effrayante possible. Je pense que la série des jeux Dark Souls mérite aussi une mention, pour son univers et son ambiance mélancolique, qui a dû laisser des traces aussi.

Comment bâtissez-vous vos récits ? Avez-vous une méthode de travail ?

L’évolution de ma méthode d’écriture a sûrement été très symptomatique de la fin de mon adolescence. Mon premier récit terminé avait été écrit sans l’ombre d’un scénario prévu à l’avance : je pouvais attaquer un chapitre dans savoir ce qu’il y aurait dedans, inventer une intrigue sur un coup de tête, ou insérer un personnage créé sur le vif sans savoir ce que j’allais en faire. Incroyable mais vrai : ce n’est pas l’idéal pour avoir un scénario bien fait.
Aujourd’hui, sept ans après, je suis passée à la méthode du plan détaillé, comme pas mal d’écrivains j’imagine. J’ai donc un document Word où j’ai prévu, avant de rédiger, l’ensemble des scènes, avec des indications plus ou moins pertinentes : parfois c’est une note de mise en scène, parfois c’est le contenu de la conversation, parfois c’est simplement les noms des personnages impliqués. En général, dans ce dernier cas, je me maudis un peu au moment d’écrire la scène, parce que je dois réfléchir sur le coup à quoi en faire, et ce n’est pas toujours évident. Mais je veille à toujours me laisser des zones de mou dans le scénario, pour pouvoir faire de la place pour une idée fulgurante si jamais il m’en vient une en écrivant. D’expérience, les meilleures idées viennent quand on ne les cherche pas, je m’assure donc de pouvoir les exploiter sans avoir à changer toute mon intrigue.
J’ai aussi un second document, qui était originellement fusionné au scénario détaillé (mais ça a fini par prendre trop de place, et c’était pénible de devoir éplucher soixante pages de ressources pour trouver le petit point intéressant), qui recense tous les personnages et figurants, tous les lieux notables, tous les modèles d’armes, avec tout ce que j’ai déjà dit dessus ou que je compte dire. Ça me permet de ne pas me contredire. Généralement, c’est utile pour les informations secondaires comme l’emplacement de cicatrices ou la latéralité des personnages (il n’y a vraiment qu’un auteur gaucher pour noter qui sont les personnages gauchers…).
En terme d’écriture pure, je travaille à moitié en désordre. J’écris tous mes chapitres les uns après les autres, mais au sein du chapitre, les scènes ne sont pas forcément écrites dans le sens où elles seront lues. C’est assez simple à faire dans la mesure où j’ai souvent beaucoup de personnages, et beaucoup de scènes sont donc indépendantes les unes des autres. Par rapport à d’autres écrivains, j’ai aussi l’avantage d’écrire très vite. Je reste rarement coincée, et dès que j’ai fini un projet, je saute à un autre et je continue au même train. Je me relis aussi très peu, et j’ai beaucoup de mal à retravailler vraiment une scène.
Dernière règle d’or : jamais deux récits à la fois. A chaque fois que j’ai essayé, ça s’est mal fini pour un des deux textes, parce que l’un des deux finissait toujours par m’intéresser davantage et l’autre terminait au rebut. Ce que j’arrive à faire, en revanche, c’est scénariser quelque chose pendant que je rédige autre chose. J’ai donc fréquemment un projet en phase de scénarisation et un autre en phase de rédaction, ça me permet d’avoir toujours quelque chose sous le coude quand je veux écrire, tout en avançant sur mes scénarios…parce qu’il faut bien qu’ils soient prêts quand j’en aurai besoin.

Avez-vous des habitudes d'écriture ? Travaillez-vous dans le silence, en musique, sur ordinateur ou sur papier ?

De nos jours je pense que c’est compliqué de continuer à écrire sur papier. Ça prend vite beaucoup de place, surtout vu les formats que j’écris, et comme il faut de toute façon le recopier sur l’ordinateur après… Comble pour un écrivain d’ailleurs, j’ai une écriture plutôt impropre à la relecture, alors mieux vaut l’ordinateur ! Je n’ai pas de moments précis où l’inspiration me vient davantage, mais j’écris en fin d’après-midi ou le soir, parce que c’est là que j’ai du temps libre, donc je pense qu’on peut considérer ça comme une habitude. En général, je cogite un peu dans les transports en commun pour passer le temps, parfois ça m’aide à mieux visualiser la scène avant de l’écrire le soir. L’avantage de l’écriture c’est que ça se module plutôt bien en fonction de l’emploi du temps, et j’ai vite tendance à rouvrir mon traitement de texte en cas de désœuvrement.
La musique, en revanche, occupe une place assez prépondérante dans ma vie, et ça se ressent dans ma façon de travailler mes textes. Je n’écris pratiquement jamais sans une bonne bande-son, et je trouve mieux les mots quand j’ai la bonne musique pour une scène. J’ai donc un panel de groupes ou de compositeurs que je ressors quand j’en ai besoin : Two Steps From Hell, Agalloch, les musiques d’Undertale (Toby Fox) ou de Tron Legacy (Daft Punk), deadmau5, Insomnium…et beaucoup d’autres. Parfois je me contente d’un bon morceau de heavy metal, mais disons que ça ne convient pas pour toutes les situations.
D’expérience, ce qui marche bien aussi, c’est de changer un peu d’air. Sans parler encore de retraite d’écrivain (j’estime manquer un peu de métier pour employer le terme), j’ai constaté que les vacances sur la côte du Nord étaient un très bon catalyseur pour l’écriture. Le charme des grandes plages désertes et des crêpes à la cassonnade par temps couvert, sans doute, c’est un cadre qui me plaît beaucoup. Je pourrais certainement finir comme ces écrivains qui ne jurent que par une escale dans le coin de leur café favori !

Que représente pour vous l'écriture, une sorte de prédisposition ? Une nécessité ?

Plus qu’une nécessité, je pense que c’est presque un automatisme. Depuis maintenant sept ans que j’écris « sérieusement », je n’ai jamais réussi à m’arrêter. Deux semaines après avoir bouclé une fiction, j’en attaquais maladivement une autre, systématiquement. Je pense que ça a pris tellement de place dans mes loisirs que je ne saurais pas quoi faire du temps où j’écris. Comme dit précédemment, c’est devenu un réflexe de me tourner vers mes textes quand je végète devant mon ordinateur sans trop savoir quoi faire.
Evidemment, l’écriture reste un plaisir, c’est un sentiment extrêmement puissant de voir des personnages et un univers prendre forme. J’apprécie beaucoup de voir l’évolution de la petite idée lancée en l’air jusqu’au projet bouclé, qui n’a plus forcément la même perspective ou la même ambiance que ce qu’on voyait au départ. Par exemple, mes personnages ont parfois tendance à m’échapper un peu, et à prendre des évolutions que je n’attendais pas au départ. Mais au fil du récit, je me dis que ce n’est pas une mauvaise idée de les faire tourner comme ci ou comme ça, et ils peuvent prendre des couleurs très différentes de ce qui est indiqué dans mes notes à leur sujet.
Ensuite, plus inhabituel, l’écriture pour moi c’est aussi un moyen d’apprentissage. J’ai remarqué que si j’arrivais à insérer une petite anecdote de savoir inutile (exemples en vrac : le Kevlar ne protège pas quand il est humide, le dragon du Komodo a les dents recouvertes par ses gencives, le nitrate d’argent colore la peau en noir) dans mon texte, j’avais de bien meilleures chances de la retenir, en plus du fait de potentiellement l’apprendre à un lecteur. Moralité : tout le monde améliore ses chances de briller en société avec ce genre de détails.
Dernier point sur lequel j’aimerais m’arrêter : le rapport entre l’écriture et mon parcours scientifique. Quelques temps après avoir commencé à chercher un éditeur, je me souviens que ma grand-mère m’avait demandé si je comptais arrêter la chimie si je rencontrais assez de succès avec mes livres pour en vivre. La question m’a beaucoup étonnée, parce que je n’avais même pas envisagé une seconde de me détacher de tout mon parcours scientifique. Pour moi, ce sont deux passions à part égale, et je trouve ça vraiment dommage de cliver d’un côté les scientifiques et les littéraires, d’autant plus que mon côté scientifique doit se retrouver un peu dans ma façon d’écrire j’imagine. Du coup, ça me semble important de dire que toute importante qu’elle soit dans ma vie, l’écriture n’empiètera pas sur le reste, et je ne compte sans doute pas en faire mon métier. Ça ne réduit absolument pas l’affection que je porte à la discipline, mais ça me semblerait dommage de n’articuler ma vie qu’autour de ça.

Quelles sont vos autres activités en dehors de l'écriture ?

Comme je le disais précédemment, la musique occupe beaucoup de place dans ma vie. J’en écoute beaucoup, principalement du métal parce que je trouve que c’est un genre musical très complet où on retrouve énormément d’influences différentes, et évidemment parce que le son me plaît. Pour coller à ma passion pour ce style musical, j’ai commencé la basse électrique en autodidacte, mais je pratique surtout la clarinette qui est mon instrument de prédilection (quelques sept-huit ans de pratique à l’heure actuelle il me semble).
Je pratique également le tir sportif à raison d’une heure par semaine, avec une préférence pour le pistolet, même s’il m’arrive également de tirer à la carabine. J’aime beaucoup le travail sur soi que ça demande, et l’efficacité avec laquelle ça permet de se vider un peu le crâne. C’est évidemment aussi très satisfaisant d’arriver à toucher le centre de la cible !
J’ai également des loisirs plus standards type jeux vidéo, séries, parties de tarot… et sinon, j’ai une grande passion pour les aquariums, où je peux passer beaucoup de temps pendant mes vacances à regarder les requins.

Travaillez-vous déjà sur un autre projet ?

Comme dit, toujours un peu ! Là, le premier tome de L’Appel de l’Outremonde qui vient de sortir a été écrit entre 2016 et 2017, je travaille donc actuellement sur le troisième, et l’année prochaine ce sera le tome quatre. Déjà, finir la saga me semble être un bon objectif. Actuellement j’ai une autre idée en cours de conceptualisation, mais il n’est pas dit qu’elle m’intéresse encore dans deux ans, donc j’ai encore pas mal de temps pour voir ce que j’écrirai ensuite.

Interview réalisée par Corine Mercier
Rédactrice